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Face à la crise, certaines entreprises horlogères préfèrent licencier tandis que d'autres ont recours au chômage partiel
Certaines personnes comparent l’horlogerie à la météo. Elles parlent de cycles et constatent que, dans les deux domaines, les périodes ensoleillées succèdent aux situations dépressionnaires. En restant dans le même champ lexical, alors on peut dire que dans le monde horloger, le ciel est nuageux depuis un bon moment…
Réalités chiffrées
Les chiffres du chômage le prouvent : le nombre de chômeurs et demandeurs d'emplois issus de la branche de l’horlogerie est à la hausse depuis fin 2012 déjà, et plus particulièrement depuis fin 2014. À Neuchâtel, les entreprises actives dans l’horlogerie fournissent près de 15% de l’emploi cantonal. Au 31 décembre dernier, 962 demandeurs d’emploi étaient inscrits dans un Office régional de placement. Parmi eux, 734 étaient des chômeurs immédiatement disponibles. Et la Fédération de l'industrie horlogère suisse a récemment communiqué cette statistique : les exportations horlogères suisses ont reculé de près de 10% en 2016.
Raisons avancées
Pour expliquer cette situation, les entreprises évoquent plusieurs raisons principales. Le franc fort est souvent cité. La lutte anti-corruption est aussi pointée du doigt, notamment en Chine. Les cadeaux entre collaborateurs sont une tradition très ancrée dans ce pays. Mais les présents sont désormais moins ostentatoires, comme des séjours ou des soins corporels. Fini donc, ou presque, de sceller un contrat en échangeant des bijoux ou en remettant des montres de luxe aux officiels pour leur faire plaisir. La situation géopolitique instable dans certains coins du monde joue aussi un rôle : la crise en Ukraine par exemple, ou la multiplication d’attentats ne sont pas de nature à rassurer les marchés et à encourager la consommation, notamment dans le domaine du luxe. S’y ajoute l’affaiblissement de certaines monnaies : le rouble s’est brutalement déprécié en décembre 2014 et la Chine a engagé une dévaluation du yuan en 2015, qu’elle a accélérée en 2016. Au niveau européen, le Brexit et sa mise en œuvre sont synonymes d’incertitudes et pourraient avoir une influence négative sur l’horlogerie.
Du côté des grands groupes, les résultats sont à la baisse. En tête, Swatch Group annonce pour 2016 des ventes inférieures de plus de 10% à celles enregistrées un an plus tôt, ainsi qu'un bénéfice net en chute de 50 à 60%. Il ne faut cependant pas perdre de vue le fait que les résultats des années précédentes constituaient des records. À l’évidence, l’euphorie ne peut durer éternellement.
Sous-traitants en première ligne
En cas de tempête, les premiers à trinquer sont les sous-traitants. L’année dernière, ils représentaient près de 75% des nouvelles demandes de RHT pour le secteur horloger neuchâtelois. Pour faire face aux turbulences, les sous-traitants réduisent les coûts. Les difficultés sont encore plus grandes pour ceux qui ont une seule entreprise comme client principal : une annulation de contrat ou une baisse importante de commandes peut avoir de lourdes conséquences dans une telle situation de dépendance.
Stratégie 1 : licencier
Certaines entreprises se montrent alarmistes en mettant en avant des baisses réelles. Elles décident de faire des économies et choisissent bien souvent de se servir du personnel comme variable d’ajustement. De grandes marques ont opté pour cette option, comme Piaget et Vacheron Constantin au sein du groupe Richemont fin 2016. Mais il n’est pas nécessaire d’être économiste pour constater qu’elles font encore des bénéfices, même s’ils sont moins grands qu’avant. Le Service neuchâtelois de l’emploi indique avoir recensé en 2016, pour les entreprises actives dans le canton, 193 personnes ayant perdu leur emploi à la suite d’un licenciement collectif ou important d’une entreprise de la branche de l’horlogerie.
Stratégie 2 : réduire le temps de travail
D’autres sociétés choisissent une option différente : garder leurs employés mais les faire moins travailler pour s’adapter à la demande. Tout comme le chômage, la réduction d’horaire de travail (RHT) dans l’horlogerie a connu un pic en 2009 : près de 6'000 travailleurs ont bénéficié d’une autorisation à cette époque dans le canton. Après avoir considérablement baissé lors des belles années qui ont suivi, la tendance est repartie à la hausse. Début 2016, ils étaient environ 2'000 à être concernés par des RHT accordées. Le Service de l’emploi souligne que le nombre de travailleurs annoncés est toujours inférieur au nombre de travailleurs en chômage partiel finalement, les entreprises devant faire la demande en amont.
Une constante : l’omerta
S’il est une chose qui ne varie pas dans le monde de l’horlogerie, c’est bien la culture du secret. Il n’est pas facile d’obtenir certaines informations officielles. Des marques indépendantes, celles qui appartiennent à des fondations, n’ont aucune obligation de transparence et s’en accommodent très bien. Il faut respecter l’anonymat des professionnels impliqués à différents niveaux pour pouvoir collecter des données, des tendances. C’est aussi le cas quand il s’agit de « communication positive », par exemple pour mettre en avant le côté humain d’entreprises familiales.
Par ailleurs, il faut savoir que tous les licenciements ne sont pas annoncés au Service de l’emploi. Selon la disposition cantonale, ne sont annoncés que les licenciements « importants », c’est-à-dire à partir de six personnes. Et selon la disposition fédérale, ne sont annoncés que les licenciements collectifs, soit à partir de dix personnes issues d’une entreprise de taille supérieure à 20 employés. Pour préserver son image, cacher sa situation délicate ou sa stratégie à ses concurrents, une entreprise peut donc choisir de licencier au compte-gouttes, sur plusieurs mois. Les syndicats n’ont pas forcément vent de cela et aucun plan social n’est mis sur pied.
RTN
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