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«Le nouveau Swiss made profitera à Victorinox»
 
Le 05-12-2016

Carl Elsener, arrière-petit-fils du fondateur et actuel directeur général du fabricant de couteaux suisses, raconte l’impact qu’aura le nouveau «Swiss made» sur ses produits. Et rit poliment quand on lui demande si sa société en mains familiales depuis 1891 est à vendre

Il n’y a que quelques exceptions. Presque tous les couteaux de poche Victorinox sont fabriqués dans la même vieille usine, nichée entre lacs et montagnes au cœur du canton de Schwyz – seule une minorité voit le jour à Delémont.

Lorsque l’on se promène dans les différentes ailes de ce site industriel, cela sent bon l’huile et le métal. Dans un fracas permanent, de gigantesques presses hydrauliques y tranchent chaque jour des kilomètres d’acier pour produire près de 120 000 couteaux (de poche et de cuisine). Soit environ 26 millions par année. En 2017, la société devrait célébrer la sortie d’usine de son 500 millionième couteau. Il y aura une modeste célébration.

Entreprise restée en mains familiales

Depuis sa fondation en 1884, la marque est toujours restée dans les mains de la famille Elsener. Encore aujourd’hui, c’est l’arrière-petit-fils Carl qui tient les commandes de cette société écoulant de petits morceaux de Suisse dans le monde. Elle emploie 2000 personnes – dont 1200 en Suisse – et devrait réaliser en 2016 un chiffre d’affaires «d’un peu moins de 500 millions de francs».

Les couteaux de poche représentent 40% des ventes, loin devant les couteaux de cuisine (20%), les valises et autres objets de voyage (15%), les montres (15%) et les parfums et vêtements (10%). Chacune de ces catégories sera touchée diversement par le renforcement du label «Swiss made» qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017, comme l’explique Carl Elsener, patron du groupe.

Le Temps: En se promenant dans votre usine, on est étonné de voir encore autant de vieilles machines et tant de couteaux assemblés à la main. Vous semblez encore travailler à l’ancienne…

Carl Elsener: Détrompez-vous! Nos machines ont peut-être l’air anciennes, mais cela fait partie de notre philosophie. Aux Etats-Unis, les entreprises achètent de nouvelles machines et les remplacent après 10 ou 20 ans. Ici, nous achetons des machines et nous avons une équipe d’ingénieurs qui se démènent toute l’année pour les perfectionner. Il y a beaucoup d’automation, et ce sont uniquement les petites séries ou les modèles personnalisés pour les entreprises qui sont réalisés à la main. Cela fait plusieurs années que nous sommes dans l’industrie 4.0…

– Malgré le franc fort, il est donc encore possible de gagner sa vie en produisant en Suisse?

– Je ne vais pas dire que c’est facile, mais nous conservons une bonne marge de manœuvre. Cela me rappelle une anecdote… Migros et Coop figurent parmi nos plus grands clients. Un jour, un de nos concurrents allemands est allé les voir pour leur dire que nous étions certainement des menteurs et qu’au prix où nous les vendions, nos couteaux devaient certainement être faits en Asie. Migros nous a interpellés sur ce point et nous les avons invités à venir visiter notre site d’Ibach. Ils ont constaté par eux-mêmes que tous nos couteaux étaient bien fabriqués ici et je suis convaincu que cela a considérablement consolidé nos relations avec eux.

– Dans quelle mesure est-ce que le renforcement du «Swissness», qui va entrer en vigueur le 1er janvier prochain (et impose désormais que 60% de la valeur du produit soit produite en Suisse, contre 50% aujourd’hui), aura un impact sur vos affaires?

– Cela dépend de nos catégories de produits mais dans l’ensemble, cela va aider Victorinox. Pour les couteaux de poche et de cuisine, qui sont «Swiss made» à bien plus que 75%, cela va simplement consolider leur réputation. Pour les montres, c’est un peu différent: nous avons des collections qui remplissent les nouvelles conditions et d’autres où il faudra faire un effort. Pour les valises et les vêtements, presque tout est fabriqué en Asie. Mais je précise que nous avons des équipes qui suivent de près ce qui s’y passe – tant au niveau des conditions de travail que de la qualité des produits.

– Pour ces derniers, vous vendrez donc des produits presque intégralement fabriqués en Asie mais affichant votre logo, une croix blanche sur fond rouge?

– Vous savez, nous utilisons ce logo depuis 1909 et l’avons protégé sur toute la planète. Avec la nouvelle loi, le Conseil fédéral nous a en effet dit que nous n’allions plus avoir le droit de l’employer. Mais après une courte bataille juridique, nous avons réussi à leur faire entendre raison. Nous pourrons donc conserver le logo qui représente une croix, mais sans les couleurs rouge, blanche et argent. Pour les montres et les couteaux, cela ne changera rien.

– En mars 2015, vous annonciez un investissement de 32 millions de francs dans le Jura. Etait-ce lié au renforcement du Swiss made horloger?

– En partie. Notre but était d’abord de rassembler nos opérations liées aux montres. Jusque-là, nous avions des employés à Bonfol, à Bienne, à Porrentruy, à Delémont, à Ibach et nous voulions pouvoir réunir nos collaborateurs sur un seul site. Nous n’y emboîtons pas seulement des montres, nous y faisons aussi quelques couteaux avec les employés qui nous ont rejoints lorsque nous avons racheté Wenger en 2005. Vous pouvez d’ailleurs le voir: s’il est inscrit «Swiss Made Delémont» sur la lame principale, c’est qu’il a été fabriqué dans le Jura et pas à Ibach. Cela fait la fierté des habitants de cette région.

– Au-delà du seul label «Swiss made»… Victorinox, qui a le quasi-monopole de la vente de couteaux de poche, joue un véritable rôle d’ambassadeur de la Suisse dans le monde, comme certains chocolats triangulaires ou des montres en plastique. Comment est-ce que vous gérez cette image?

– Nous réalisons bien ce statut d’icône qu’ont nos couteaux de poche pour le pays. C’est une fierté et une motivation pour toute la famille Elsener. C’est aussi pour cette raison que nous investissons sans arrêt en Suisse pour perpétuer cela. Je ne vous cache pas que ce n’est pas facile tous les jours; avec le franc fort notamment, la tentation d’aller produire ailleurs existe. Mais nous entendons relever ce défi. Je le répète: c’est une fierté.

– Est-ce que le fait que la société ait toujours été en mains de votre famille facilite les choses?

– Je pense. Cela nous permet de ne pas subir de pressions financières. Pendant 34 ans, j’ai travaillé dans le même bureau que mon père qui me répétait que le succès d’une société passait par la satisfaction de ses clients, la qualité de ses produits et le bien-être de ses employés. A cette liste, j’ai rajouté la force de la marque. Voilà nos priorités, qui ne sont parfois pas celles d’entreprises cotées en bourse.

– Combien de fois par année est-ce que l’on vous propose de vous racheter?

– Entre trois et cinq fois. Le plus drôle, c’est que ce sont des gens qui croient sérieusement que l’on pourrait accepter de vendre l’entreprise…

– Il y a une année est née la marque Swiza, à Delémont. Comment avez-vous accueilli cette annonce?

– Honnêtement, j’ai été très surpris. Swiza a en partie été fondée par l’ancien directeur général de Wenger que j’aurais préféré garder chez nous. J’ai beaucoup de respect pour cette équipe. Ces temps le marché n’est pas facile et il a fallu une bonne dose de courage pour se lancer.

– Est-ce que ce nouveau concurrent a eu une influence sur vos ventes?

– Aucune. La baisse du nombre de touristes en Suisse a eu un impact, mais pas Swiza. Je rappelle qu’avant 2005, nous avions déjà 90% du marché contre seulement 10% pour Wenger… Donc à ce stade, la concurrence de Swiza est encore marginale.

– Quel est votre avis sur ces couteaux?

– Nous en avons acheté cinq ou six pour en tester la qualité, le matériel. Mon opinion? Oui, ils sont de bonne facture. Mais en général les sociétés suisses font des produits de qualité…

– Êtes-vous encore un «simple» producteur de couteaux? Comment est-ce que vous vous définissez aujourd’hui?

– Nous sommes une marque suisse authentique qui fabrique différentes catégories de produits, toutes inspirées du couteau suisse.

– Et quand allez-vous réaliser un couteau connecté?

– Nous réfléchissons en permanence à de nouvelles manières d’améliorer nos produits. Mais depuis plus d’un siècle, presque tous nos couteaux sont indépendants de l’électricité et cela leur permet de fonctionner dans toutes les situations. Pour l’heure, cette situation nous convient bien.

Valère Gogniat
LE TEMPS

 



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