|
Des ateliers d’horlogers aux cabinets d’architectes, c’est la surenchère ! Les marques n’en finissent pas de revoir leur offre pour proposer toujours plus et encore mieux. Singulière, sensationnelle, spectaculaire : trois qualificatifs en « S » pour appréhender l’horlogerie de demain.
On sent, en le regardant allumer un cigare en jean et baskets au milieu de personnalités cravatées, qu’il est inutile de lui donner du « Monsieur le Président ». Les courbettes, le prestige de la fonction, les contraintes qui vont avec, non merci. Nicolas Hayek junior a grandi dans l’ombre d’un père anticonformiste et fumeur de havanes. Aussi, toutes ses interventions protocolaires sont auréolées de volutes opaques et sponsorisées par Levis & Co. Ce jour d’octobre 2017, le président de la direction de Swatch Group et membre du conseil d’administration, inaugure la nouvelle manufacture Omega à Bienne : 16’000 m², 70 m de longueur, 30 m de large et 30 m de haut. Elle est l’œuvre de l’architecte japonais Shigeru Ban et a coûté 150 millions de francs. C’est un navire d’art moderne et contemporain dessiné comme un vaisseau futuriste, dont les façades en béton voisinent avec un bois d’épicéa suisse. Un aboutissement ? Pas du tout, une étape dont le point d’orgue sera, deux ans plus tard - en 2019 donc - l’inauguration de la deuxième étape de l’édifice qui abrite le siège de Swatch Group, les musées Swatch, Omega et celui de la Swatchmobile, le tout sous une charpente entrecroisée de bois. Un dragon, disent les riverains. Un besoin d’extension nécessaire corrigerait Nicolas Hayek Junior, en flagrant délit de délectation fumeuse.
Le succès appelle le succès. Le fils poursuit l’œuvre paternelle. En son temps, Nicolas Hayek père, entrepreneur né à la base du succès de la Swatch, a bâti un empire de manufactures. Ils sont nombreux, à son image, à pratiquer le business comme un alpiniste passionné qui s’attaque à l’Everest : la tête rivée vers les cimes, les pieds ancrés dans une ascension stratégique, prêts à investir massivement dans la pierre (leur outil de travail). Ainsi, Patek Philippe a consacré 500 millions à la construction d’un nouveau bâtiment à Plan-les-Ouates, Audemars Piguet augmente sa voilure au Brassus avec l’avènement d’un nouveau musée et la construction d’un hôtel de 50 chambres signé de l’archi-star danois Bjarke Ingels… Autant de constructions XXL !
La grandeur de l’infiniment petit
Évidemment, l’autre vitrine où les horlogers peuvent matérialiser leurs velléités de grandeur, c’est la montre. Si le désir de repousser les limites est bien ancré dans la genèse de l’histoire horlogère, l’envie de paver l’avenir de superlatifs aussi. En quelques décennies, une frénésie de records en tous genres a donc pris d’assaut l’industrie, touchant désormais tous les domaines : mécanique, design, prix. D’où le développement de pièces qui pourraient postuler au livre des records mais sans vraiment avoir une utilité au quotidien. Idéaliste ? Peut-être… si on considère par exemple la nouvelle Omega Seamaster qui revendique une étanchéité à 300 mètres. Qui plonge à cette profondeur ? Dans l’ombre de ce record se dessine néanmoins le mythe de l’Atlantide ou le Nautilus commandé par le célèbre capitaine Nemo… Peu importe si l’océan ne voit la pièce que quelques jours par an ou si son propriétaire n’a pas le pied marin. Pour lui, c’est le vecteur idéal pour s’imaginer à bord d’une embarcation subaquatique.
On l’aura compris, on peut adapter l’adage du marquis Nicolas Fouquet « quo non ascendet ? » (jusqu’où ne montera-t-il pas ?) à pratiquement tout créateur horloger, sans pour autant y voir nécessité mais plutôt prétexte à rêver. Quid du côté intergalactique de la MB&F Horological Machine N°6 Final Edition ? Son tourbillon volant 60 secondes avec bouclier rétractable, ses turbines en aluminium et son allure imposante de vaisseau spatial au poignet ne permettent pas d’aller sur Mars mais bouleversent tout fan de conquête spatiale. Idem pour les 47 mm de diamètre la Panerai Submersible Chrono - Édition Guillaume Néry. Ils apportent certes une plus grande lisibilité de cadran mais c’est ce côté puissant, viril qui fait apprécier le (très) grand diamètre de la pièce.
La mécanique du désir
Enfin, s’il y a bien un domaine où la course à l’exploit trouve son paroxysme, c’est dans les ateliers d’horlogers. Là, derrière les fenêtres dans une vallée isolée du monde, se créent les calibres les plus perfectionnés, les plus fous. Des pièces qu’on définit par des nombres : plus de 1’000 composants pour la Jaeger-LeCoultre Master Grande Tradition Gyrotourbillon Westminster Perpétuel. En fait 1’150 pour être exact.
Et que dire du prix de telles créations ? En 2012, Beyonce offrait à son mari, Jay Z, grand collectionneur de montres, une Hublot en or blanc sertie de 1’282 diamants d’un poids de 100 carats pour la modique somme de… 5 millions de dollars. Une pacotille certes à côté de certaines pièces vendues aux enchères. Une Rolex ayant appartenu à l’acteur Paul Newman a ainsi été adjugée 17,8 millions de dollars fin 2017 à New York. Ne regardez pas votre montre en plastique avec cet air désespéré. En 2015, un Luxembourgeois s’est séparé de ses 5’800 Swatch. Estimée à 1,3 million de dollars, la collection a été adjugée à plus de 6 millions de dollars ! |