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La production de spiraux en silicium aux États-Unis peut-elle donner un coup de pouce à la renaissance de l’horlogerie américaine ? Un enjeu de taille au vu d’une technologie extrêmement disputée.
Une équipe de chercheurs américains a mis au point un spiral en silicium qui pourrait relancer l’industrie horlogère américaine. La technologie a été développée par Firehouse Horology, cofondée par Nicholas Manousos et Kiran Shekar. Ils produisent ces spiraux dans la salle blanche Nano Initiative de l’université de Colombia, un laboratoire de micro- et nano-technologies situé à New York.
Les partenaires ont démarré Firehouse Horology en 2015 dans le but d’« explorer l’avenir des nano-technologies en horlogerie, explique Nicholas Manousos. Comme nous vivons aux États-Unis, nous savons bien que la production horlogère n’est plus ce qu’elle était dans le pays. En outre, il y a passablement d’interrogations qui entourent les marques de montres américaines quant à la véritable origine des composants qu’ils utilisent. Il était donc logique pour nous de commencer par l’une des pièces les plus difficiles à fabriquer dans une montre mécanique : le spiral ». Firehouse Horology détient les brevets de ce nouveau spiral, qui a été testé et validé par l’horloger indépendant François-Paul Journe. L’horloger a intégré une série de ces spiraux dans ses mouvements et les a soumis à une batterie de tests qui ont confirmé leur conformité aux standards de la norme ISO 3159 (COSC).
Des spiraux différents
« Le plus gros défi auquel nous avons été confrontés a été de convaincre les gens que nous fabriquions nous-mêmes des spiraux à New York, explique Nicholas Manousos. On nous a souvent accusés d’externaliser le travail ou d’embaucher des étudiants diplômés pour faire le boulot à notre place. Rien n’est moins vrai. Notre collaboration avec François-Paul Journe et la validation de nos spiraux par ses soins nous ont grandement aidés à gagner en crédibilité. »
Les spiraux de Firehouse Horology sont différents des spiraux en silicium existants, en termes à la fois de processus de fabrication et de matériau. « Les différences spécifiques sont toutes exposées dans les brevets, mais le résultat final, explique Nicholas Manousos, est que nos spiraux sont meilleurs que ceux de la concurrence pour ce qui est de leur durabilité et de leur isochronisme. » Lorsqu’on lui demande si Firehouse Horology a des horlogers suisses parmi ses clients, Nicholas Manousos répond par un sobre « pas de commentaire », non sans préciser que sa société est aujourd’hui capable de produire des centaines de milliers de spiraux en silicium par an à l’université de Columbia. « La production a démarré et la demande est importante, dit-il. Nous avons de nombreux clients à travers le monde, mais nous ne pouvons pas en discuter publiquement en raison des accords de confidentialité. » La société fabrique des échappements, roues et balancier, avec la capacité de réaliser toutes formes bidimensionnelles en silicium avec une précision mesurée en nanomètres.
Jusqu’ici, les fabricants suisses ont dominé la recherche et la production de composants en silicium. Ulysse Nardin a fait œuvre de pionnier en la matière dès 2001 avec sa Freak équipée d’un mouvement avec des composants en silicium. Un consortium composé de Patek Philippe, Rolex et Swatch Group s’est ensuite associé au Centre suisse d’électronique et de microtechnique pour également développer une série de composants en silicium. Chez Rolex, cela s’est traduit par la présentation de son spiral Syloxi en 2014. Patek Philippe n’a pas attendu si longtemps pour dévoiler en 2005 son spiral Spiromax en silicium monocristallin. Un an plus tard, c’était au tour de Breguet de lancer son propre échappement en silicium. En 2014, les autres marques de Swatch Group - Blancpain, Omega, Tissot, Mido et Jaquet Droz - lui emboîtaient le pas. L’utilisation du silicium donne aux sociétés horlogères un avantage concurrentiel. Il résiste aux champs magnétiques et aux changements de température. Il élimine le besoin de réglage et d’entretien par un horloger.
Focus sur le mouvement
« Aux États-Unis, nous entendons souvent dire qu’il n’existe aucun fournisseur de mouvements et qu’il est donc impossible de produire des montres “Made in USA”, déclare Nicholas Manousos. Nous voyons cela comme une opportunité. Les États-Unis ont déjà été à la pointe en matière de fabrication horlogère et rien ne nous empêche de revenir à cet état de fait avec détermination et au prix d’un travail acharné. »
Cela pourrait-il conduire à une renaissance de l’industrie horlogère américaine ? Nicholas Manousos en est persuadé, mais pour que l’horlogerie américaine redore son blason, « les marques doivent se concentrer sur la fabrication de mouvements. De plus, il reste encore beaucoup à faire en termes de sensibilisation des consommateurs aux mouvements et à la production. Un amateur de montres américain averti ne se laissera pas induire en erreur par telle ou telle campagne marketing. Il sera donc naturellement attiré par des produits et des entreprises véritablement innovants ».
Nicholas Manousos a étudié l’informatique pour ensuite embrasser une carrière technologique réussie à la Silicon Valley. Il a étudié l’horlogerie à la Hayek Watchmaking School de Miami en Floride et vit maintenant à New York, où il est président de la Horological Society new-yorkaise. Il est également rédacteur technique pour Hodinkee. Kiran Shekar est titulaire d’un diplôme en physique appliquée et a mené une brillante carrière dans le secteur de la finance. Il a également développé un intérêt pour l’horlogerie en étant notamment administrateur au sein la Horological Society of New York. |