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Quand on se pose la question de savoir où se trouvent les « barons » de l’horlogerie contemporaine, on pense immédiatement à la Suisse, avant de se tourner vers l’Allemagne, l’Angleterre, la France, voire l’Asie. Aucune chance que l’Amérique soit prise en considération, du moins plus maintenant. Pourtant, il fut un temps où elle jouait un rôle majeur. Certains considèrent même qu’au XIXe siècle l’industrie horlogère américaine était plus puissante que la concurrence helvétique. Les horlogers aux États-Unis ont notamment été parmi les premiers à adopter avec succès les standards d’une véritable production industrielle. Mais un siècle entier s’est écoulé depuis.
Dans les années 1940, alors que les manufactures suisses modernisaient leurs designs et leurs techniques, les entreprises américaines étaient en pleine consolidation. Des décennies durant, l’industrie locale allait faire pâle figure. Mais depuis 25 ans les choses changent : du sang neuf circule dans cette industrie à mesure que les fabricants entendent redorer le blason de l’horlogerie américaine.
L’histoire, en bref
Dans les premiers temps de l’horlogerie, les composants étaient minutieusement fabriqués et assemblés à la main par de talentueux artisans. À l’époque, les montres étaient réservées aux membres de la haute société - à ceux qui pouvaient s’offrir ces pièces sur mesure. Avec la révolution industrielle dès le milieu du XIXe siècle, un certain nombre d’horlogers ont eu du mal à accepter la mécanisation de leur art. Arrimés à la tradition, ils remettaient en question la qualité des montres qui n’étaient pas faites main. Mais les horlogers américains n’en faisaient pas partie.
Constituée de marques comme Waltham, Elgin, Hamilton et Bulova, l’industrie américaine a fait bon accueil aux innovations qui allaient dans le sens d’une production industrielle. Les professionnels de la branche ont vite saisi l’opportunité d’adapter les nouvelles technologies à la standardisation de la production horlogère. La Waltham Watch Company, fondée par Aaron Dennison, a été à l’origine de l’« American System of Watchmaking » et du boom qui en a découlé. Il a ainsi permis aux horlogers américains de produire leurs montres non seulement en plus grande quantité mais aussi à moindre coût. Pour la première fois, les montres devenaient accessibles au plus grand nombre. Les fabricants suisses et européens allaient d’ailleurs bientôt en ressentir l’impact sur leurs ventes et finir par adopter des procédés mécaniques identiques.
Après un siècle d’industrialisation, le secteur a connu un autre changement majeur : la fin des montres de poche au profit des montres-bracelets. Durant la Première Guerre mondiale, la violence de la guerre de tranchées avait imposé l’usage des montres de poignet. Alors qu’avant-guerre elles étaient considérées comme des accessoires de mode pour femme, elles sont devenues des objets fonctionnels, appréciés des hommes.
On a alors assisté à un nouveau transfert de flambeau, de l’Amérique vers l’Europe. Les fabricants suisses et européens se sont rapidement adaptés à cette évolution alors que les Américains peinaient à maintenir leur rang sur les marchés. Comme ils avaient développé des lignes d’assemblage spécifiques pour la production des montres de poche, la transition vers la montre-bracelet les obligeait à tout revoir. Incapables de faire face au changement, d’autant plus qu’il allait de pair avec la Grande Dépression, beaucoup d’horlogers américains ont dû fermer leurs portes.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Maisons qui avaient survécu ont connu une légère embellie, grâce à l’augmentation des commandes pour des montres militaires, sans équivalent néanmoins au niveau commercial. Après-guerre, l’économie américaine a bel et bien fini par se redresser, mais l’intérêt pour les montres fabriquées dans le pays avait quasi disparu. Le marché américain s’était déjà tourné vers la production suisse, ce qui est encore largement le cas aujourd’hui.
La renaissance
Au cours des 25 dernières années, l’industrie horlogère américaine a toutefois peu à peu retrouvé des couleurs. Une nouvelle génération de marques innovantes a commencé à émerger. À côté des jeunes fabricants qui développent leurs propres concepts, une entreprise nommée Fine Timepiece Solutions fait déjà des vagues sur le marché. D’une manière générale, on se concentre sur l’innovation plutôt que la tradition et on cherche à retrouver l’approche originale qui a conduit l’industrie américaine au succès il y a plus d’un siècle.
Fondée en 1992, la RGM Watch Company a été l’une des premières manufactures modernes à ouvrir la voie à un renouveau horloger dans le pays. Si l’innovation est un axe central incontestable dans l’entreprise, les traditions de l’horlogerie américaine ont elles aussi leur importance. Le siège de la marque est basé à Lancaster, en Pennsylvanie, là où se trouvait l’ancienne fabrique, un horloger de la première heure aux États-Unis. Le succès repose toujours sur la performance technique. Combinant fabrication moderne et travail commandé à la main, RGM s’est spécialisé dans les montres sur mesure dotées de calibres maison. En 27 années d’existence, la marque a développé quatre mouvements propres « made in America » dont le calibre 20, ainsi nommé pour célébrer le 20e anniversaire de la Maison. C’est un mouvement de forme tonneau avec un barillet inspiré par les montres de chemin de fer américaines du début du XXe siècle.
Aucun fabricant ne représente mieux l’esprit d’innovation américain que la marque Devon, basée en Californie. Elle conjugue les principes de l’horlogerie moderne et le caractère technologique d’une société californienne - imaginez une rencontre entre Richard Mille et Apple. Devon a fait son apparition sur la scène horlogère en 2010 avec la présentation de la montre d’avant-garde Tread 1, la première création « made in America » à participer au prestigieux Grand Prix d’Horlogerie de Genève. Si elle n’a pas gagné, elle a fait partie des finalistes dans la catégorie Montre Design. Outre leurs designs futuristes, les montres Devon ont une construction qui fait un clin d’œil au passé de l’horlogerie américaine : son système d’affichage par courroies, signature de la marque, rend hommage aux tapis roulants qui ont joué un rôle majeur dans l’« American System of Watchmaking ».
Au-delà du design, des mouvements « made in America »
La Weiss Watch Company est l’une des plus jeunes marques à faire bouger les choses sur le marché américain. Son fondateur, Cameron Weiss, a passé une décennie à se former et se spécialiser dans les complications avant de lancer la marque à son nom en 2013. Il a réalisé ses 10 premières montres de A à Z - fabrication, finition main et assemblage de l’ensemble des composants - dans un atelier installé chez lui. En l’espace de deux ans, grâce à une croissance exponentielle, la marque a acquis ses lettres de noblesse en Californie. Puis, en 2016, elle se lançait dans le développement de son premier mouvement propre, le CAL 1003. Le travail artisanal a rapidement fait place à l’automatisation et à la production de modèles entièrement usinés et terminés aux États-Unis.
Alors que plusieurs horlogers américains contemporains s’efforcent de créer leurs propres calibres, l’entreprise Fine Timepieces Solutions (FTS) cherche à positionner le pays dans la création de mouvements, l’assemblage de montres et divers tests pour des tiers. FTS est la seule entreprise à commercialiser des mouvements « made in America » (avec composants fabriqués aux États-Unis ou importés) et fournit aussi bien des calibres que des montres complètes sur commande. Son but est de permettre à l’Amérique de figurer à nouveau parmi le peloton de tête des pays producteurs en horlogerie. Première réalisation de FTS, la ligne de calibres à quartz Americaquartz couvre un éventail de fonctions en allant des modèles minuscules, conçus pour équiper les toutes petites montres féminines, à une version 13 lignes prisée pour les montres masculines. L’ensemble de l’organisation opère avec fierté sous la direction de l’un des maîtres horlogers et experts du secteur les plus respectés en Amérique du Nord, Manuel Yazijian (Certified Master Watchmaker of the 21st Century - CMW21 - et ancien président de l’American Watchmakers-Clockmakers Institute - AWCI). Bien que FTS travaille encore à diversifier son offre et construire sa réputation, son concept constitue une évolution prometteuse et exaltante pour le marché américain. À quand un calibre certifié « made in America » ? |